Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/29

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une mijaurée. Mieux qu’une Diane efflanquée, sans derrière ni devant, d’un de ces Italiens, j’aime un meuble de Bourgogne à la patine bronzée, vigoureux, abondant, chargé de fruits comme une vigne, un beau bahut pansu, une armoire sculptée, dans la rude fantaisie de maître Hugues Sambin. J’habille les maisons de panneaux, de moulures. Je déroule les anneaux des escaliers tournants ; et, comme d’un espalier des pommes, je fais sortir des murs les meubles amples et robustes faits pour la place juste où je les ai entés. Mais le régal, c’est quand je puis noter sur mon feuillet ce qui rit en ma fantaisie, un mouvement, un geste, une échine qui se creuse, une gorge qui se gonfle, des volutes fleuries, une guirlande, des grotesques, ou que j’attrape au vol et je cloue sur ma planche le museau d’un passant. C’est moi qui ai sculpté (cela, c’est mon chef-d’œuvre) pour ma délectation et celle du curé, dans le chœur de l’église de Montréal, ces Stalles, où l’on voit deux bourgeois qui se rigolent et trinquent, à table, autour d’un broc, et deux lions qui braillent en s’arrachant un os.

Travailler après boire, boire après travailler, quelle belle existence !… Je vois autour de moi des maladroits qui grognent. Ils disent que je choisis bien le moment pour chanter, que c’est une triste époque… Il n’y a pas de triste époque, il n’y a que de tristes gens. Je n’en suis pas, Dieu merci. On se pille ? on s’étrille ? Ce sera toujours ainsi. Je mets ma main au feu que dans quatre cents ans nos