Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/324

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est bien content d’avoir quand on est vieux ou qu’on va l’être. Et c’est touchant, ou ridicule : on ne sait pas lequel des deux. Tous ces espoirs, ces désespoirs, et ces ardeurs et ces langueurs, et ces beaux vœux et ces beaux feux de cheminée, pour arriver à faire cuire la marmite et trouver bon le pot-au-feu !… Et il est bon, vraiment, il l’est assez pour nous : c’est tout ce que nous méritons… Mais si jadis on me l’eût dit !… Enfin, il nous reste en tout cas, pour donner du goût au repas, notre rire ; et c’est un fier assaisonnement, il ferait manger des pierres. Riche ressource, et qui ne m’a jamais manqué, non plus qu’à toi, de pouvoir se moquer de soi, quand on fut sot et qu’on le voit !

Nous ne nous en faisons pas faute— encore moins de nous moquer des autres. Parfois, nous nous taisons, rêvassant, ruminant, moi le nez sur mon livre, elle sur son ouvrage ; mais les langues tout bas continuent de marcher, ainsi que deux ruisseaux qui cheminent sous terre et ressortent soudain, au soleil, en sautant. Martine, au milieu du silence, repart d’un grand éclat de rire ; et les langues, de reprendre leur danse !

J’essayai de faire entrer Plutarque en notre compagnie. Je voulus faire goûter à Martine ses beaux récits et la manière pathétique dont je lis. Mais nous n’eûmes aucun succès. De la Grèce et de Rome elle se souciait autant qu’un poisson d’une pomme. Lors même qu’elle voulait, afin d’être polie, écouter, au bout d’un instant elle était loin et son esprit courait les champs ; ou plutôt, il faisait sa ronde, du