Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/58

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l’État reprend sa peau de loup. Et les États, les rois, leurs ministres ont beau s’habiller en bergers, et, les fourbes, se dire cousins du grand berger, du tien, du Bon Pasteur, ils sont tous loups-cerviers, taureaux, gueules et ventres, que rien ne peut combler. Et pourquoi ? Pour nourrir la faim immense de la terre.

— Tu divagues, païen, dit Chamaille. Les loups viennent de Dieu, comme le reste. Il a tout fait pour notre bien. Ne sais-tu pas que c’est Jésus qui, nous dit-on, créa le loup, afin de défendre les choux, qui poussaient dans le jardinet de la Vierge, sa sainte mère, contre les chèvres et les cabris ? Il eut raison. Inclinons-nous. Nous nous plaignons toujours des forts. Mais, mon ami, si les faibles devenaient rois, ce serait encore bien pis. Conclusion : tout est bon, les loups et les moutons ; les moutons ont besoin des loups, pour les garder ; et les loups des moutons : car il faut bien manger… Là-dessus, mon Colas, je vas garder mes choux.

Sa soutane il troussa, son gourdin empoigna, et dans la nuit sans lune il partit, en m’ayant avec émotion confié Madelon.

Les jours suivants, ce fut moins gai. Nous avions sottement bâfré, le premier soir, sans compter, par goinfrerie, forfanterie, et par stupidité. Et nos provisions étaient plus qu’écornées. Il fallut se serrer le ventre ; on le serra. Mais on crânait toujours. Quand les boudins furent mangés, on en fabriqua d’autres, des boyaux rembourrés de son, des cordes trempées de goudron, qu’on promenait sur des