Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/77

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savourais ensemble le breuvage et les buveurs ; ma joie s’augmentait de la leur, et de les observer : boire et voir font la paire ; c’est un morceau de roi. Je n’en fessais pas moins, prompt et preste, mon verre. Et tous trois, bien au pas ; point de retardataire !… Qui le croirait pourtant ? Quand nous fîmes le compte, celui qui arriva premier à la barrière, d’une bonne lampée, fut monsieur le notaire.

Après que la rosée de cave eut humecté doucement nos gésiers et rendu la souplesse aux esprits animaux, nos âmes s’épanouirent, et nos faces aussi. À la fenêtre ouverte, accoudés, attendris, nous regardions avec extase dans les champs le printemps nouveau, le gai soleil sur les fuseaux des peupliers qui se remplument, au creux du val l’Yonne cachée qui tourne et tourne dans les prés, comme un jeune chien qui se joue, et d’où montait à nous l’écho des battoirs et des laveuses et des canes cacardeuses. Et Chamaille, déridé, disait, en nous pinçant le bras :

— Qu’il fait bon vivre, en ce pays ! Que le Dieu du ciel soit béni, qui tous trois nous fit naître ici ! Se peut-il rien de plus mignon, de plus riant, de plus touchant, attendrissant, appétissant, gras, moelleux et gracieux ! On en a les larmes aux yeux. On voudrait le manger, le gueux !

Nous approuvions, du menton, lorsque soudain il repartit :

— Mais pourquoi diable eut-il l’idée, là-haut, de faire en ce pays pousser ces animaux-ci ? Il eut raison, c’est entendu. Il sait ce qu’il fait, il faut croire…