Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/78

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mais je préférerais, je l’avoue, qu’il eût tort, et que mes paroissiens fussent au diable, où l’on voudra : chez les Incas ou le Grand Turc, je ne m’en soucie, pourvu qu’ils soient ailleurs qu’ici !

Nous lui dîmes :

— Chamaille, ils sont pourtant les mêmes. Autant ceux-ci que d’autres ! À quoi sert de changer ?

— C’est donc, reprit Chamaille, qu’ils ont été créés, non pour être sauvés par moi, mais se sauver, en me forçant à faire pénitence sur terre. Convenez, mes compères, convenez qu’il n’est guère métier plus misérable que celui d’un curé de campagne, qui sue à faire entrer les saintes vérités dans le crâne endurci de ces pauvres hébétés. On a beau les nourrir du suc de l’Évangile et faire à leurs bambins téter le catéchisme : le fait à peine entré leur ressort par le nez ; faut à ces grands gousiers plus grossière pâtée. Quand ils ont mâchonné quelque temps un ave, d’un coin de bouche à l’autre promené litanies, ou, pour s’entendre braire, chanté vêpres et complies, rien des sacrées paroles ne passe le parvis de leur gueule assoiffée. Le cœur ni l’estomac n’en reçoit quasi rien. Après comme devant, ils restent purs païens. En vain, depuis des siècles, nous extirpons des champs, des ruisseaux, des forêts, les génies et les fées ; vainement, nous soufflons, à en faire éclater nos joues et nos poumons, nous soufflons, ressoufflons ces flambeaux infernaux, afin que, dans la nuit plus noire de l’univers, la lumière du vrai Dieu seule se fasse voir, jamais on n’a pu tuer ces esprits de la terre, ces sales superstitions,