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COMPAGNONS DE ROUTE

rents[1]. Les bonnes gens, ahuris, s’époumonnaient à le suivre. Il n’apportait pas à ce jeu un sourire dilettante, ou, bien qu’il en eût l’humour, une pointe d’ironie méphistophélique. Il obéissait aux exigences multiples de sa nature. Il disait à Jacobi :

« Avec les tendances diverses de ma nature, je ne puis me contenter d’une seule manière de penser… Les choses du ciel et de la terre constituent un si vaste royaume qu’il ne faut pas moins, pour pouvoir l’embrasser, que tous les organes de tous les êtres réunis. » (6 janvier 1813).

Que parlions-nous d’un fleuve, en voulant le caractériser ? Il est ou peut être tous les fleuves, à la fois, et sur tous les versants. Fixez-lui donc un but ! Il n’en reconnaît aucun à l’art et à la nature. Il dit à son vieux Zelter :

« La nature et l’art sont trop grands pour avoir des buts ; ils n’en ont pas besoin, car tout se tient, et cet enchaînement, c’est la vie. » (29 janvier 1830).

Comment donc prendre sa mesure ?

Je ne l’essaierai pas plus que je ne prétendrais faire tenir dans mes bras la Nature. Mais je puis dire ce que je leur dois, à lui, comme à la Nature, et ce que j’ai bu en eux.

  1. « Chaque parti le comptait parmi les siens, mais Gœthe ne restait attaché à aucun ; il prenait de tous les côtés, et il se muait en une grande variété de formes saisissantes… » (1806, ibid.)
    « Il comparait ses poésies, nées d’états passagers et passés, aux peaux quittées par le serpent qui mue… Il disait que ses œuvres n’étaient que des débris d’existences passées » (23 Juin 1809, à Riemer).