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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/108

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Jean-Christophe

battre ; il prenait son élan, et sautait sans regarder. Il lui semblait qu’il y avait quelqu’un ou quelque chose derrière. Les jours où elle était fermée, il entendait distinctement par la chattière entr’ouverte remuer derrière la porte. Ce n’était pas étonnant, car il y avait de gros rats ; mais il imaginait un être monstrueux, des os déchiquetés, des chairs comme des haillons, une tête de cheval, des yeux qui font mourir, des formes incohérentes ; il ne voulait pas y penser et y pensait malgré lui. Il s’assurait d’une main tremblante que le loquet était bien mis : ce qui ne l’empêchait pas de se retourner dix fois, en descendant les marches.

Il avait peur de la nuit au dehors. Il lui arrivait de s’arrêter chez le grand-père, ou d’y être envoyé le soir, pour quelque commission. Le vieux Krafft habitait un peu en dehors de la ville, la dernière maison sur la route de Cologne. Entre cette maison et les premières fenêtres éclairées de la ville, il y avait deux ou trois cents pas, qui paraissaient bien le triple à Christophe. Pendant quelques instants, le chemin faisait un coude, où l’on ne voyait rien. La campagne était déserte, au crépuscule ; la terre devenait noire, et le ciel d’une pâleur effrayante. Lorsqu’on sortait des buissons qui entouraient la route, et qu’on grimpait sur le talus, on voyait encore une lueur jaunâtre au bord de l’horizon ; mais cette

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