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l’aube

tourner la clef, il faiblissait, il appelait au secours. Et, de l’autre côté, il savait bien qui voulait entrer. — Il était au milieu des siens ; et soudain, leur visage changeait ; ils faisaient des choses folles. — Il lisait tranquillement ; et il sentait qu’un être invisible était autour de lui. Il voulait fuir, il se sentait lié. Il voulait crier, il était bâillonné. Une étreinte répugnante lui serrait le cou. Il s’éveillait, suffoquant, claquant des dents ; et il continuait de trembler, longtemps encore après s’être réveillé ; il ne parvenait pas à chasser son angoisse.

La chambre où il dormait était un réduit sans fenêtres et sans porte ; un vieux rideau, accroché par une tringle au-dessus de l’entrée, le séparait seulement de la chambre des parents. L’air épais l’étouffait. Ses frères, qui couchaient dans le même lit, lui donnaient des coups de pied. Il avait la tête brûlante, et il était en proie à une demi-hallucination, où se répercutaient tous les petits soucis du jour, indéfiniment grossis. Dans cet état d’extrême tension nerveuse, voisin du cauchemar, la moindre secousse lui était une souffrance. Le craquement du plancher lui causait un effroi. La respiration de son père s’enflait d’une façon fantastique ; elle ne paraissait plus être un souffle humain ; ce bruit monstrueux lui faisait horreur : il semblait que ce fût une bête qui était couchée là. La nuit l’écrasait, elle

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