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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/114

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Jean-Christophe

ne finirait jamais, ce serait toujours ainsi ; il y avait des mois qu’il était là. Il haletait, il se soulevait à demi sur son lit, il s’asseyait, il essuyait du bras de sa chemise sa figure couverte de sueur. Parfois, il poussait son frère Rodolphe, pour le réveiller ; mais l’autre grognait, tirait à lui le reste des couvertures, et se rendormait solidement.

Il restait ainsi dans l’angoisse de la fièvre, jusqu’à ce qu’une raie pâle parût sur le plancher, au bas du rideau. Cette blancheur timide de l’aube lointaine faisait soudain descendre en lui la paix. Il la sentait se glisser dans la chambre, alors que nul encore n’aurait pu la distinguer de l’ombre. Aussitôt sa fièvre tombait, son sang s’apaisait, comme un fleuve débordé qui rentre dans son lit ; une chaleur égale coulait dans tout son corps, et ses yeux brûlés d’insomnie se fermaient malgré lui.

Le soir, il voyait revenir l’heure du sommeil avec effroi. Il se promettait de n’y pas céder, de veiller toute la nuit, par terreur des cauchemars. Mais la fatigue finissait par l’emporter ; et c’était toujours quand il s’y attendait le moins, que les monstres revenaient.

Nuit redoutable ! Si douce à la plupart des enfants, si terrible à certains d’entre eux !… Il avait peur de dormir. Il avait peur de ne pas dormir.

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