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l’aube

leur s’étaient fait honneur de tenir leur partie dans l’orchestre. Melchior était à son poste, et Jean-Michel dirigeait les chœurs.

Lorsque Hassler parut, une acclamation monta de toutes parts, et les dames se levaient afin de mieux le voir. Christophe le dévorait des yeux. Hassler avait une figure jeune et fine, mais déjà un peu bouffie et fatiguée ; les tempes étaient dégarnies ; une calvitie précoce se montrait au sommet du crâne, parmi les cheveux blonds qui frisaient. Ses yeux bleus étaient d’un regard vague. Il avait une petite moustache blonde, et une bouche expressive, qui restait rarement en repos, contractée par mille mouvements imperceptibles. Il était grand, et se tenait mal, non par gêne, mais par fatigue ou par ennui. Il dirigeait avec une souplesse capricieuse, de tout son grand corps dégingandé, qui ondulait, comme sa musique, avec des gestes tour à tour caressants et cassants. On voyait qu’il était prodigieusement nerveux ; et sa musique était son exact reflet. Cette vie trépidante et saccadée pénétrait l’apathie ordinaire de l’orchestre. Christophe haletait ; malgré sa crainte d’attirer sur lui les regards, il ne pouvait rester immobile à sa place ; il s’agitait, il se levait, et la musique lui causait de si violentes secousses, et si inattendues, qu’il était contraint de remuer la tête, les bras, les jambes, au grand dom-

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