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l’aube

méchant ! Pardonne-moi, je t’aime bien ! » Mais il n’osait pas. — Et tout d’un coup, il se jeta dans les bras de Gottfried ; mais sa phrase ne voulait pas sortir ; il répétait seulement : « Je t’aime bien ! » et il l’embrassait passionnément. Gottfried, surpris et ému, répétait : « Et quoi ? Et quoi ? » et il l’embrassait aussi. — Puis il se leva, lui prit la main, et dit : « Il faut rentrer. » Christophe revenait triste que l’oncle n’eût pas compris. Mais, comme ils arrivaient à la maison, Gottfried lui dit : « D’autres soirs, si tu veux, nous irons encore entendre la musique du bon Dieu, et je te chanterai d’autres chansons. » Et quand Christophe l’embrassa, plein de reconnaissance, en lui disant bonsoir, il vit bien que l’oncle avait compris.

Depuis lors, ils allaient souvent se promener ensemble, le soir ; et ils marchaient sans causer, le long du fleuve, ou à travers les champs. Gottfried fumait sa pipe lentement, et Christophe lui donnait la main, un peu intimidé par l’ombre. Ils s’asseyaient dans l’herbe ; et, après quelques instants de silence, Gottfried lui parlait des étoiles et des nuages ; il lui apprenait à distinguer les souffles de la terre et de l’air et de l’eau, les chants, les cris, les bruits du petit monde voletant, rampant, sautant ou nageant, qui grouille dans les ténèbres, et les signes précurseurs de la pluie et du beau temps,

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