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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 1.djvu/192

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Jean-Christophe

et les instruments innombrables de la symphonie de la nuit. Parfois Gottfried chantait des airs tristes ou gais, mais toujours de la même sorte ; et toujours Christophe retrouvait à l’entendre le même trouble. Mais jamais il ne chantait plus d’une chanson par soir ; et Christophe avait remarqué qu’il ne chantait pas volontiers, quand on le lui demandait ; il fallait que cela vint de lui-même, quand il en avait envie. On devait souvent attendre longtemps, sans parler ; et c’était au moment où Christophe pensait : « Voilà ! il ne chantera pas ce soir… », que Gottfried se décidait.

Un soir que Gottfried ne chantait décidément pas, Christophe eut l’idée de lui soumettre une de ses petites compositions, qui lui donnaient à faire tant de peine et d’orgueil. Il voulait lui montrer quel artiste il était. Gottfried l’écouta tranquillement ; puis il dit :

— Comme c’est laid, mon pauvre Christophe !

Christophe en fut si mortifié, qu’il ne trouva rien à répondre. Gottfried reprit, avec commisération :

— Pourquoi as-tu fait cela ? C’est si laid ! Personne ne t’obligeait à le faire.

Christophe protesta, rouge de colère :

— Grand-père trouve ma musique très bien, cria-t-il.

— Ah ! fit Gottfried, sans se troubler. Il a raison

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