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Jean-Christophe

rir tranquillement vers la gauche. Alors il tapait du pied, il les menaçait de son bâton, et il leur ordonnait avec colère de s’en aller à gauche : et, en effet, cette fois, ils obéissaient parfaitement. Il était heureux et fier de son pouvoir. Il touchait les fleurs en leur enjoignant de se changer en carrosses dorés, comme on lui avait dit qu’elles faisaient dans les contes ; et bien que cela n’arrivât jamais, il était persuadé que cela ne manquerait pas d’arriver, avec un peu de patience. Il cherchait un grillon pour en faire un cheval : il lui mettait doucement sa baguette sur le dos, et disait une formule. L’insecte se sauvait : il lui barrait le chemin. Après quelques instants, il était couché à plat-ventre, près de lui, et il le regardait. Il avait oublié son rôle de magicien, et s’amusait à retourner sur le dos la pauvre bête, en riant aux éclats de ses contorsions.

Il inventait aussi d’attacher une vieille ficelle à son bâton magique, et il la jetait gravement dans le fleuve, attendant que le poisson vînt mordre. Il savait bien que les poissons n’ont pas coutume de manger une ficelle sans appât ni hameçon ; mais il pensait que pour une fois, et pour lui, ils pourraient faire une exception à la règle ; et il en vint, dans son inépuisable confiance, jusqu’à pêcher dans la rue avec un fouet, à travers la fente d’une plaque d’égout. Il retirait son fouet de temps en temps,

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