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LA NOUVELLE JOURNÉE

de m’envoyer chez cette femme ? Il m’a fallu vous obéir ; mais ce n’est pas bien : vous abusez de votre pouvoir. J’avais refusé trois de ses invitations, laissé sans réponse deux lettres. Elle est venue me relancer à une de mes répétitions d’orchestre — (on essayait ma sixième symphonie). — Je l’ai vue, pendant l’entr’acte, arriver, le nez au vent, humant l’air, criant : « Ça sent l’amour ! Ah ! comme j’aime cette musique !… »

« Elle a changé, physiquement ; seuls sont restés les mêmes ses yeux de chatte à la prunelle bombée, son nez fantasque qui grimace et a toujours l’air en mouvement. Mais la face élargie, aux os solides, colorée, renforcie. Les sports l’ont transformée. Elle s’y livre, à corps perdu. Son mari, comme vous savez, est un des gros bonnets de l’Automobile-Club et de l’Aéro-Club. Pas un raid d’aviateurs, pas un circuit de l’air, ou de la terre, ou de l’eau, auquel les Stevens-Delestrade ne se croient obligés d’assister. Ils sont toujours par voies et par chemins. Nulle conversation possible ; il n’est question, dans leurs entretiens, que de Racing, de Rowing, de Rugby, de Derby. C’est une race nouvelle de gens du monde. Le temps de Pelléas est passé pour les femmes. La mode n’est plus aux âmes. Les jeunes filles arbo-