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LA NOUVELLE JOURNÉE

à exercer dans la maison une sorte d’autorité familiale : Grazia l’écoutait et suivait ses conseils. Depuis l’hiver passé dans le sanatorium, elle n’était plus la même ; les inquiétudes et les fatigues avaient éprouvé gravement sa santé, robuste jusque-là. L’âme s’en était ressentie. Malgré quelques retours des caprices d’antan, elle avait un je ne sais quoi de plus sérieux, de plus recueilli, un plus constant désir d’être bonne, de s’instruire et de ne pas faire de peine. Elle était attendrie de l’affection de Christophe, de son désintéressement, de sa pureté de cœur ; et elle songeait à lui faire, quelque jour, le grand bonheur qu’il n’osait plus rêver : devenir sa femme.

Jamais il n’en avait reparlé, depuis le refus qu’elle lui avait opposé ; il ne se le croyait pas permis. Mais il gardait le regret de l’espoir impossible. Quelque respect qu’il eût pour les paroles de l’amie, la façon désabusée dont elle jugeait le mariage ne l’avait pas convaincu ; il persistait à croire que l’union de deux êtres qui s’aiment, d’un amour profond et pieux, est le faite du bonheur humain. — Ses regrets furent ravivés par la rencontre du vieux ménage Arnaud.

Madame Arnaud avait plus de cinquante ans. Son mari, soixante-cinq ou six. Tous