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LA FIN DU VOYAGE

deux paraissaient en avoir beaucoup plus. Lui, s’était épaissi ; elle, tout amincie, un peu ratatinée ; si fluette autrefois déjà, elle n’était plus qu’un souffle. Ils s’étaient retirés dans une maison de province, après qu’Arnaud avait pris sa retraite. Nul lien ne les rattachait plus au siècle que le journal qui venait, dans la torpeur de la petite ville et de leur vie qui s’endormait, leur apporter l’écho tardif des rumeurs du monde. Une fois, ils y avaient lu le nom de Christophe. Madame Arnaud lui avait écrit quelques lignes affectueuses, un peu cérémonieuses, pour lui dire la joie qu’ils avaient de sa gloire. Aussitôt, il avait pris le train, sans s’annoncer.

Il les trouva dans leur jardin, assoupis sous le dais rond d’un frêne, par une chaude après-midi d’été. Ils étaient comme les deux vieux époux de Bœcklin, qui s’endorment sous la tonnelle, la main dans la main. Le soleil, le sommeil, la vieillesse les accablent ; ils tombent, ils sont déjà plus qu’à mi-corps enfoncés dans le rêve éternel. Et, dernière lueur de vie, persiste jusqu’au bout leur tendresse, le contact de leurs mains, de la chaleur de leur corps qui s’éteint… — Ils eurent une grande joie de la visite de Christophe, pour tout ce qu’il leur rappelait du passé. Ils causèrent des jours anciens, qui