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LA NOUVELLE JOURNÉE

de monde ; deux ou trois vieilles personnes. Christophe était sourdement irrité de leur présence. Grazia le regardait. Il regardait Grazia, en répétant son nom, tout bas.

— J’ai bien changé, n’est-ce pas ? dit-elle.

Il avait le cœur gonflé d’émotion.

— Vous avez souffert, dit-il.

— Vous aussi, fit-elle avec pitié, en regardant son visage ravagé par la peine et par la passion.

Ils ne trouvèrent plus de mots.

— Je vous en prie, dit-il après un instant, allons ailleurs ; est-ce que nous ne pouvons pas nous parler dans un lieu où nous soyons seuls ?

— Non, mon ami, restons, restons ici, nous sommes bien ; qui fait attention à nous ?

— Je ne suis pas libre de parler.

— Cela est mieux, ainsi.

Il ne comprit pas pourquoi. Plus tard, quand il repassa dans sa mémoire cet entretien, il pensa qu’elle n’avait pas confiance en lui. Mais c’était qu’elle avait une peur instinctive des scènes d’émotion ; sans qu’elle s’en rendit compte, elle cherchait un abri contre les surprises de leurs cœurs ; même, elle aimait la gêne de cette intimité dans un salon d’hôtel, qui protégeait la pudeur de son trouble secret.