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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/45

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LA NOUVELLE JOURNÉE

comme un ange de Bernin ; — le petit saint Jean, aux œillades coquettes, qui mendiait sur le chemin, offrant à ceux qui passaient une orange avec la branche verte. Il interpellait les voiturins, vautrés, la tête en bas au fond de leurs chariots, et poussant, par accès intermittents, les mille et un couplets d’un chant nasillard, paresseux et gueulard. Il se surprenait à fredonner Cavalliera rusticana. Le but de son voyage était totalement oublié. Oubliée, sa hâte d’arriver au but, de rejoindre Grazia…

Jusqu’au jour où l’image aimée se réveilla. Fut-ce un regard, rencontré sur la route, fut-ce une inflexion de voix, grave et chantante, qui l’évoqua ? Il n’en eut pas conscience. Mais une heure vint où, de tout ce qui l’entourait, du cercle des collines couvertes d’oliviers, et des hautes arêtes polies de l’Apennin, que sculptent l’ombre épaisse et le soleil ardent, et des bois d’orangers lourds de fleurs et de fruits, et de la respiration profonde de la mer, rayonna la figure souriante de l’amie. Par les yeux innombrables de l’air, ses yeux le regardaient. Elle fleurissait de cette terre aimée, comme une rose d’un rosier.

Alors, il se ressaisit. Il reprit le train pour Rome, sans s’arrêter nulle part. Rien ne