Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

70
LA FIN DU VOYAGE

finissait par s’éteindre. À quoi bon ? Dormir… — Christophe n’eût pas demandé mieux que de les aider. En admettant qu’il l’eût pu, leur amour-propre ombrageux ne s’y prêtait pas. Quoi qu’il fît, il était pour eux un étranger ; et pour des Italiens de vieille race, malgré leur accueil affectueux, tout étranger reste, au fond, un barbare. Ils estimaient que la misère de leur art était une question qui devait se régler en famille. Tout en prodiguant à Christophe les marques d’amitié, ils ne l’admettaient pas dans leur famille. — Que lui restait-il ? Il ne pouvait pourtant pas rivaliser avec eux et leur disputer la maigre place au soleil, dont ils n’étaient pas sûrs !…

Et puis, le génie ne peut se passer d’aliment. Le musicien a besoin de musique, — de musique à entendre, de musique à faire entendre. Une retraite temporaire a son prix pour l’esprit, qu’elle force à se recueillir. Mais c’est à condition qu’il en sorte. La solitude est noble, mais mortelle pour l’artiste qui n’aurait plus la force de s’y arracher. Il faut vivre de la vie de son temps, même bruyante et impure ; il faut incessamment donner et recevoir, et donner, et donner, et recevoir encore. — L’Italie, du temps de Christophe, n’était plus ce grand marché de l’art qu’elle fut autrefois, qu’elle redeviendra peut-être.