Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Jean-Christophe

la vie, faisant pour l’avenir d’Otto, comme pour les siens, des plans qui ne souffraient point de discussion. Otto approuvait, un peu révolté parfois d’entendre Christophe disposer de sa fortune, pour construire plus tard un théâtre de son invention. Mais il ne protestait pas, intimidé par l’accent dominateur de son ami, et convaincu par sa conviction, que l’argent amassé par M. le Commerzienrath Oscar Diener ne pouvait trouver un plus noble emploi. Christophe n’avait pas un moment l’idée qu’il pût faire violence à la volonté d’Otto. Il était despote d’instinct et n’imaginait pas que son ami pût vouloir autrement que lui. Si Otto avait exprimé un désir différent du sien, il n’eût pas hésité à lui sacrifier ses préférences personnelles. Il lui eût sacrifié bien davantage. Il était dévoré du désir de s’exposer pour lui. Il souhaitait passionnément qu’une occasion se présentât de mettre son amitié à l’épreuve. Il espérait, dans ses promenades, rencontrer quelque danger et se jeter au devant. Il fût mort avec délices pour Otto. En attendant, il veillait sur lui avec une sollicitude inquiète, il lui donnait la main dans les mauvais pas, comme à une petite fille, il avait peur qu’il ne fût las, il avait peur qu’il n’eût chaud, il avait peur qu’il n’eût froid ; il enlevait son veston pour le lui jeter sur les épaules, quand ils s’asseyaient sous un arbre ; il lui

92