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Jean-Christophe

peignaient avec des couleurs tragiques la tristesse de leur sort, et s’affligeaient de jeter dans l’existence de leur ami le trouble de leur destinée.

— Je t’en veux, mon amour, écrivait Christophe, de la peine que je te cause. Je ne puis supporter que tu souffres : il ne le faut pas, je ne le veux pas. (Il soulignait les mots, d’un trait qui crevait le papier.) Si tu souffres, où trouverai-je la force de vivre ? Je n’ai de bonheur qu’en toi. Oh ! sois heureux ! Tout le mal, je le prends joyeusement sur moi ! Pense à moi. Aime-moi ! J’ai un besoin extrême qu’on m’aime. Il me vient de ton amour une chaleur qui me rend la vie. Si tu savais comme je grelotte ! Il fait hiver et vent cuisant dans mon cœur. J’embrasse ton âme.

— Ma pensée baise la tienne, répliquait Otto.

— Je te prends la tête entre mes mains, ripostait Christophe ; et ce que je n’ai point fait et ne ferai point des lèvres, je le fais de tout mon être : je t’embrasse comme je t’aime. Mesure !

Otto feignait de douter :

— M’aimes-tu autant que je t’aime ?

— Oh ! Dieu ! s’écriait Christophe, non pas autant, mais dix, mais cent, mais mille fois davantage ! Quoi ! Est-ce que tu ne le sens pas ? Que veux-tu que je fasse, qui te remue le cœur ?

— Quelle belle amitié que la nôtre ! soupirait Otto. En fut-il jamais une semblable dans l’histoire ?

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