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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/115

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le matin

quand Otto, qui n’était point dupe, lui obéissait malicieusement, il ne pouvait s’empêcher de lui faire grise mine ; et brusquement, il éclatait de nouveau.

À la rigueur, il eût pardonné à Otto de lui préférer d’autres amis ; mais ce qu’il ne pouvait lui passer, c’était le mensonge. Otto n’était pas faux, ni hypocrite : il avait une difficulté naturelle à dire la vérité, comme un bègue à articuler les mots ; ce qu’il disait n’était jamais, ni tout à fait vrai, ni tout à fait faux ; soit timidité, soit incertitude sur ses propres sentiments, il parlait rarement d’une façon tout à fait nette, ses réponses étaient équivoques ; et surtout, il faisait à propos de tout, des cachotteries et des mystères, qui mettaient Christophe hors de lui. Quand on le prenait en faute, — ou en ce qui, d’après les conventions de leur amitié, constituait une faute, — au lieu de la reconnaître, il s’obstinait à nier, et racontait des histoires absurdes. Un jour, Christophe, exaspéré, le gifla. Il crut que c’était fini de leur amitié et que jamais Otto ne lui pardonnerait. Mais après avoir boudé quelques heures, Otto revint à lui, comme si rien ne s’était passé. Il n’avait nulle rancune des violences de Christophe ; peut-être même ne lui déplaisaient-elles point, et y trouvait-il un charme. Tandis qu’il savait mauvais gré à Christophe de se laisser duper et d’avaler,

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