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le matin

bitude. Otto daigna les accepter ; et ils firent la paix.

Malgré leurs désaccords, il leur était impossible de se passer l’un de l’autre. Ils avaient bien des défauts, ils étaient égoïstes tous deux. Mais cet égoïsme était naïf, il ne connaissait pas les calculs de l’âge mûr, qui le rendent si repoussant, il ne se connaissait pas lui-même : il était presque aimable, et il ne les empêchait pas de s’aimer sincèrement. Ils avaient in tel besoin d’amour et de sacrifice ! Le petit Otto pleurait sur son oreiller, en se racontant des histoires de dévouement romanesque, dont il était le héros ; il inventait des aventures pathétiques, où il était fort, vaillant, intrépide, et protégeait Christophe, qu’il s’imaginait adorer. Christophe ne voyait rien, n’entendait rien de beau ou de curieux, sans qu’il pensât : « Si Otto était là ! » Il mêlait l’image de son ami à sa vie tout entière ; et cette image se transfigurait, prenait une telle douceur, qu’en dépit de ce qu’il savait de lui, il en était comme enivré. Certains mots d’Otto, qu’il se rappelait longtemps après, et qu’il embellissait, le faisaient tressaillir d’émotion. Ils s’imitaient mutuellement. Otto singeait les manières, les gestes, l’écriture de Christophe. Christophe était irrité parfois de cette ombre qui répétait chaque mot qu’il avait dit et lui resservait ses propres pensées, comme des pensées neuves.

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