Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/139

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le matin

Christophe eut beau s’irriter, jurer qu’il n’irait pas, il ne pouvait plus se dérober maintenant. Quand vint l’heure de l’invitation, il se prépara en rechignant : secrètement, il n’était pas fâché que le hasard fît violence à sa mauvaise volonté.

Madame de Kerich n’avait pas eu de peine à reconnaître dans le pianiste du concert le petit sauvage, dont la tête ébouriffée lui était apparue, le jour de son arrivée, au-dessus du mur de son jardin. Elle avait pris des informations sur lui dans le voisinage ; et ce qu’elle avait appris de la famille de Christophe, et de la vie difficile et courageuse de l’enfant, lui avait inspiré de l’intérêt pour lui et la curiosité de lui parler.

Christophe, guindé dans une absurde redingote, qui lui donnait l’air d’un pasteur de campagne, arriva à la maison, malade de timidité. Il cherchait à se persuader que mesdames de Kerich n’avaient pas eu le temps de remarquer ses traits, le premier jour qu’elles l’avaient vu. Par un long corridor, dont le tapis étouffait le bruit des pas, un domestique l’introduisit dans une chambre, dont une porte vitrée donnait sur le jardin. Il faisait, ce jour-là, une petite pluie froide ; un bon feu brûlait dans la cheminée. Près de la fenêtre, à travers laquelle on entrevoyait les silhouettes mouillées des arbres dans la brume, les deux femmes étaient assises,

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