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le matin

lier avec le monde, le pauvre Christophe était encore resté un petit sauvage, sans instruction et sans éducation. L’égoïsme de la cour ne s’occupait de lui, que pour tirer profit de son talent, sans chercher à lui servir en rien. Il venait au palais, se mettait au piano, jouait, et s’en allait, sans que jamais personne se donnât la peine de causer avec lui, si ce n’était pour lui faire quelque compliment banal et distrait. Personne, depuis la mort du grand-père, ni à la maison, ni au dehors, n’avait eu jamais la moindre pensée de l’aider à s’instruire, à se conduire dans la vie, à devenir un homme. Il souffrait cruellement de son ignorance et de sa grossièreté de manières. Il suait sang et eau pour se former tout seul ; mais il n’y arrivait pas. Les livres, les entretiens, les exemples, tout lui manquait. Il lui eût fallu avouer sa détresse à un ami, et il ne pouvait s’y décider. Même avec Otto, il n’avait pas osé, parce qu’aux premiers mots qu’il avait hasardés, Otto avait pris un ton de supériorité dédaigneuse, qui lui avait été comme une brûlure de fer rouge.

Et voici qu’avec madame de Kerich, tout devenait aisé. D’elle-même, sans qu’il fût besoin de lui demander rien, — il en coûtait tellement à l’orgueil de Christophe ! — elle lui remontrait doucement ce qu’il ne fallait pas faire, l’avertissait de ce qu’il fallait faire, lui donnait des conseils sur la façon de

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