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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/161

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le matin

fil de petits singes en peluche et des souvenirs de cotillon.

Minna arrivait en retard, les yeux encore gonflés de sommeil, l’air boudeur ; elle tendait à peine la main à Christophe, disait un froid bonjour, et, muette, grave et digne, allait s’asseoir au piano. Quand elle était seule, elle se plaisait à faire d’interminables gammes ; car cela lui permettait de prolonger agréablement son état de demi-sommeil et les rêves qu’elle se contait. Mais Christophe l’obligeait à fixer son attention sur des exercices difficiles : aussi, pour se venger, elle s’ingéniait quelquefois à jouer le plus mal qu’elle pouvait. Elle était assez musicienne, mais n’aimait pas la musique, — comme beaucoup d’Allemandes. Mais, comme elles, elle croyait devoir l’aimer ; et elle prenait ses leçons assez consciencieusement à part quelques moments de malice diabolique, pour faire enrager son maître. Elle le faisait enrager bien davantage par l’indifférence glaciale avec laquelle elle s’appliquait. Le pire était quand elle imaginait qu’il était de son devoir de mettre de l’âme dans un passage d’expression : elle devenait alors sentimentale, et elle ne sentait rien.

Le petit Christophe, assis auprès d’elle, n’était pas très poli. Il ne lui faisait jamais de compliments : loin de là. Elle lui en gardait rancune, et ne laissait

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