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Jean-Christophe

trine se soulevait légèrement, comme si elle était oppressée ; et elle faisait fausse note sur fausse note. Il ne s’en apercevait pas : il était bien plus troublé qu’elle ; ses tempes battaient ; il n’entendait rien, ne savait ce qu’elle jouait, et, pour rompre le silence, faisait d’une voix étranglée quelques observations à tort et à travers. Il pensait qu’il était définitivement perdu dans l’opinion de Minna. Il était confondu de son action, il la jugeait stupide et grossière. L’heure de la leçon écoulée, il quitta Minna sans la regarder, et il oublia même de la saluer. Elle ne lui en voulut pas. Elle ne pensait plus à trouver Christophe mal élevé ; et si elle avait fait tant de fautes en jouant, c’est qu’elle ne cessait de l’observer du coin de l’œil avec une curiosité étonnée, et, — pour la première fois, — sympathique.

Quand elle fut seule, au lieu d’aller retrouver sa mère comme les autres jours, elle s’enferma dans sa chambre et s’interrogea sur cet événement extraordinaire. Elle s’était accoudée devant sa glace. Ses yeux lui semblaient doux et brillants. Elle mordait légèrement sa lèvre dans l’effort de la réflexion. Et tout en regardant avec complaisance son gentil visage, elle revoyait la scène, rougissait et souriait. À table, elle fut animée et joyeuse. Elle refusa de sortir ensuite et resta au salon, une partie de l’après-

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