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le matin

sûrs de n’avoir pas rêvé la scène de l’autre soir. Minna gardait rancune à Christophe. Christophe redoutait de la rencontrer seule. Ils étaient plus en froid que jamais.

Un jour vint. — Il avait plu toute la matinée et une partie de l’après-midi. Ils étaient restés enfermés dans la maison, sans se parler, à lire, bâiller, regarder à la fenêtre ; ils étaient ennuyés et maussades. Vers quatre heures, le ciel s’éclaircit. Ils coururent au jardin. Ils s’accoudèrent sur la terrasse, regardant au dessous d’eux les pentes de gazon, qui descendaient vers le fleuve. La terre fumait, une tiède vapeur montait au soleil ; des gouttelettes de pluie étincelaient sur l’herbe ; l’odeur de la terre mouillée et le parfum des fleurs se mêlaient ; autour d’eux bruissait le vol doré des abeilles. Ils étaient côte à côte, et ne se regardaient pas ; ils ne pouvaient se décider à rompre le silence. Une abeille vint gauchement s’accrocher à une grappe de glycine, lourde de pluie, et fit basculer sur elle une cataracte d’eau. Ils rirent en même temps ; et aussitôt ils sentirent qu’ils ne se boudaient plus, qu’ils étaient bons amis. Pourtant ils continuaient à ne pas se regarder.

Brusquement, sans tourner la tête, elle lui prit la main, et elle lui dit :

— Venez !

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