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Jean-Christophe

un canotier à grosse paille, avec un large ruban bleu.

Christophe lut quatre fois la lettre, avant d’arriver à la comprendre tout à fait. Il était étourdi, il n’avait même plus la force d’être heureux ; il se sentit brusquement si las, qu’il se coucha, relisant et baisant la lettre à tout instant. Il la mit sous son oreiller, et sa main s’assurait sans cesse qu’elle était là. Un bien-être ineffable se répandait en lui. Il dormit d’un trait jusqu’au lendemain.

Sa vie devint plus supportable. La pensée fidèle de Minna flottait autour de lui. Il entreprit de lui répondre ; mais il n’avait pas le droit de lui écrire librement, il devait cacher ce qu’il sentait ; cela était pénible et difficile. Il s’évertua à voiler maladroitement son amour sous des formules de politesse cérémonieuse, dont il se servait toujours d’une façon ridicule.

Sa lettre partie, il attendit la réponse de Minna il ne vécut plus que dans cette attente. Pour prendre patience, il essaya de se promener, de lire. Mais il ne pensait qu’à Minna, il se répétait son nom avec une obstination de maniaque ; il avait pour ce nom un amour si idolâtre, qu’il gardait dans sa poche, partout où il allait, un volume de Lessing, parce que le nom de Minna s’y trouvait ; et, chaque jour, il faisait un long détour, au sortir du théâtre, pour

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