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Jean-Christophe

les trois jours qu’il avait accordés à la poste pour porter sa lettre à Minna, et lui rapporter la réponse. Mais quand le quatrième jour fut passé, il recommença à ne plus pouvoir vivre. Il n’avait plus d’énergie, ni d’intérêt aux choses, que pendant l’heure qui précédait l’arrivée de chaque poste. Alors il était trépidant d’impatience. Il devenait superstitieux, et cherchait dans les moindres signes — le pétillement du foyer, un mot dit au hasard — l’assurance que la lettre arrivait. Une fois l’heure passée, il retombait dans sa prostration. Plus de travail, plus de promenades : le seul but de l’existence était d’attendre le prochain courrier ; et toute son énergie était dépensée à trouver la force d’attendre jusque-là. Mais quand le soir venait, et qu’il n’y avait plus d’espérance pour la journée, alors c’était l’accablement : il lui semblait qu’il ne réussirait jamais à vivre jusqu’au lendemain ; et il restait des heures, assis devant sa table, sans parler, sans penser, n’ayant même pas la force de se coucher, jusqu’à ce qu’un reste de volonté lui fit enfin gagner son lit ; et il dormait d’un lourd sommeil, plein de rêves stupides, qui lui faisaient croire que la nuit ne finirait jamais.

Cette attente continuelle devenait à la longue une torture physique, une véritable maladie. Christophe en arrivait à soupçonner son père, ses frères, le

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