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le matin

facteur même, d’avoir reçu la lettre et de la lui cacher. Il était rongé d’inquiétudes. De la fidélité de Minna, il ne doutait pas un instant. Si donc elle ne lui écrivait pas, c’est qu’elle était malade, mourante, morte peut-être. Il sauta sur sa plume et écrivit une troisième lettre, quelques lignes déchirantes, où il ne pensait pas plus, cette fois, à surveiller ses sentiments, que son orthographe. L’heure de la poste pressait ; il avait fait des ratures, brouillé la page en la tournant, sali l’enveloppe en la fermant : n’importe ! Il n’aurait pu attendre au courrier suivant. Il courut jeter la lettre à la poste, et attendit, dans une angoisse mortelle. La seconde nuit, il eut la vision nette de Minna, malade, qui l’appelait ; il se leva, fut sur le point de partir à pied, d’aller la rejoindre. Mais où ? Où la retrouver ?

Le quatrième matin, arriva enfin la lettre de Minna, — une demi-page à peine, — froide et pincée. Minna disait qu’elle ne comprenait pas ce qui avait pu lui inspirer ces stupides appréhensions, qu’elle allait bien, qu’elle n’avait pas le temps d’écrire, qu’elle le priait de s’exalter moins à l’avenir et d’interrompre sa correspondance.

Christophe fut atterré. Il ne mit pas en doute la sincérité de Minna. Il s’accusa lui-même, il pensa que Minna était justement irritée des lettres impru-

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