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Jean-Christophe

Christophe n’entendit rien de plus ; il quitta la chambre et se prépara à sortir. Sa mère qui depuis quelque temps le surveillait à la dérobée, sans qu’il s’en aperçût, le suivit dans le couloir et lui demanda timidement où il allait. Il ne répondit pas, et sortit. Il souffrait.

Il courut chez mesdames de Kerich. Il était neuf heures du soir. Elles étaient au salon toutes deux, et ne parurent pas surprises de le voir. Elles lui dirent bonsoir avec tranquillité. Minna, occupée à écrire, lui tendit la main par dessus la table, et continua sa lettre, en lui demandant de ses nouvelles d’un air distrait. Elle s’excusait d’ailleurs de son impolitesse et feignait d’écouter ce qu’il disait ; mais elle l’interrompit pour demander un renseignement à sa mère. Il avait préparé des paroles touchantes sur tout ce qu’il avait souffert pendant leur absence : il put à peine en balbutier quelques mots ; personne ne les releva, et il n’eut pas le courage de continuer : cela sonnait faux.

Quand Minna eut terminé la lettre, elle prit un ouvrage, et, s’asseyant à quelques pas de lui, se mit à lui raconter le voyage qu’elle avait fait. Elle parlait des semaines agréables qu’elle avait passées, des promenades à cheval, de la vie de château, de la société intéressante ; elle s’animait peu à peu, et faisait des allusions à des événements ou à des gens,

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