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Jean-Christophe

saluts, il attendait un mot pour revenir le lendemain : il n’en fut pas question. Il fallut partir. Minna ne le reconduisit pas. Elle lui tendit la main, — une main indifférente, qui s’abandonnait froidement dans sa main ; et il prit congé d’elles au milieu du salon.

Il rentra chez lui, l’effroi au cœur. De la Minna d’il y avait deux mois, de sa chère Minna, il ne restait plus rien. Que s’était-il passé ? Qu’était-elle devenue ? Pour un pauvre garçon, qui n’avait jamais encore éprouvé les changements incessants, la disparition totale, et le renouvellement absolu des âmes vivantes, dont la plupart ne sont pas des âmes, mais des collections d’âmes, qui se succèdent, se transforment, et s’éteignent constamment, la simple vérité était trop cruelle, pour qu’il pût se résoudre à y croire. Il en repoussait l’idée avec épouvante, et tâchait de se persuader qu’il avait mal su voir, que Minna était toujours la même. Il décida de retourner chez elle, dès le lendemain matin, de lui parler à tout prix.

Il ne dormit pas. Il compta, l’une après l’autre, dans la nuit, toutes les sonneries de l’horloge. Dès la première heure, il alla rôder autour de la maison des de Kerich ; il entra aussitôt qu’il put. Ce ne fut pas Minna qu’il vit, ce fut madame de Kerich. Active et matinale, elle s’occupait à arroser avec une carafe

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