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le matin

de cette confiance en soi, et se contentait de secouer la tête pour dire que non. Il s’obstinait toujours.

— Non, Christophe, dit-elle d’un ton décidé, non, ce n’est pas la peine de discuter, c’est impossible. Il ne s’agit pas seulement d’argent. Tant de choses !… La situation…

Elle n’eut pas besoin d’achever. Ce fut une aiguille qui le perçait jusqu’aux moelles. Ses yeux s’ouvrirent. Il vit l’ironie du sourire amical, il vit la froideur du regard bienveillant, il comprit brusquement tout ce qui le séparait de cette femme, qu’il aimait d’un amour filial, qui semblait le traiter d’une façon maternelle ; il sentit tout ce qu’il y avait de protecteur et de dédaigneux dans son affection. Il se leva, tout pâle. Madame de Kerich continuait à lui parler de sa voix caressante ; mais c’était fini ; il n’entendait plus la musique des paroles, il perçait sous chaque mot la sécheresse de cette âme élégante. Il ne put répondre un mot. Il partit. Tout tournait autour de lui.

Rentré dans sa chambre, il se jeta sur son lit, et il eut une convulsion de colère et d’orgueil révolté, comme quand il était petit. Il mordait son oreiller, il enfonçait son mouchoir dans sa bouche, pour qu’on ne l’entendît pas crier. Il haïssait madame de Kerich. Il haïssait Minna. Il les méprisait avec fureur. Il lui semblait qu’il avait été souffleté, il tremblait de

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