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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/24

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Jean-Christophe

même. Il se raidissait, blêmissait, prenait un air glacial, affectait de ne pas s’intéresser à la musique ; il l’eût haïe, si c’eût été possible. Melchior disait de lui :

— Cet individu n’a pas de cœur. Il ne sent rien. Je ne sais pas de qui il tient.

Parfois ils chantaient ensemble de ces chants germaniques à quatre voix, — à quatre pieds, — qui, toujours semblables à eux-mêmes, s’avancent lourdement, avec une niaiserie solennelle, et de plates harmonies. Christophe se réfugiait alors dans la chambre la plus éloignée et injuriait les murs.

Grand-père avait aussi ses amis : l’organiste, le tapissier, l’horloger, la contrebasse, de vieilles gens bavardes, qui ressassaient toujours les mêmes plaisanteries et se lançaient dans d’interminables discussions sur l’art, sur la politique, ou sur les généalogies des familles du pays, — bien moins intéressés par les sujets dont ils parlaient, qu’heureux de parler et de trouver à qui parler.

Quant à Louisa, elle voyait seulement quelques voisines, qui lui rapportaient les commérages du quartier, et de loin en loin, quelque « bonne dame », qui, sous prétexte de s’intéresser à elle, venait retenir ses services pour un dîner prochain, et s’arrogeait une surveillance sur l’éducation religieuse des enfants.

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