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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/30

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Jean-Christophe

sur la route. Il montait sur la table ; Gottfried le recevait de l’autre côté, sur ses épaules. Ils partaient, heureux comme des écoliers.

Quelquefois, ils allaient retrouver Jérémie, le pêcheur, un ami de Gottfried ; et on filait dans sa barque, au clair de lune. L’eau s’égouttant des rames faisait de petits arpèges, des notes chromatiques. Une vapeur de lait tremblait à la surface du fleuve. Les étoiles frissonnaient. Les coqs se répondaient de l’une à l’autre rive ; et parfois on entendait, dans les profondeurs du ciel, les trilles des alouettes, qui montaient de la terre, trompées par la clarté de la lune. On se taisait. Gottfried chantait tout bas un air. Jérémie racontait des histoires étranges de la vie des animaux ; elles paraissaient d’autant plus mystérieuses, qu’il s’exprimait d’une façon brève et énigmatique. La lune se cachait derrière les forêts. On longeait la sombre masse des collines. Les ténèbres du ciel et de l’eau se fondaient. Le fleuve était sans un pli. Tous les bruits s’éteignaient. La barque glissait dans la nuit. Glissait-elle ? Flottait-elle ? Restait-elle immobile ?… Les roseaux s’écartaient avec un froissement de soie. On abordait sans bruit. On descendait sur la rive, et on revenait à pied. Il arrivait qu’on ne rentrât qu’à l’aube. On suivait le bord du fleuve. Des nuées d’ablettes d’argent, vertes comme des épis, ou

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