Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/48

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À l’obsession de ses pensées la dureté même de la vie vint faire diversion. La ruine de la famille, que Jean-Michel retardait seul, se précipita, dès qu’il ne fut plus là. Avec lui les Krafft avaient perdu leurs meilleures ressources ; et la misère entra dans la maison.

Melchior y ajouta encore. Loin de travailler davantage, il s’abandonna tout à fait à son vice, quand il fut délivré du seul contrôle qui le retînt. Presque chaque nuit, il rentrait ivre, et il ne rapportait jamais rien de ce qu’il avait gagné. Du reste, il avait perdu à peu près toutes ses leçons. Une fois, il s’était présenté chez une élève dans un état d’ébriété complète : à la suite de ce scandale, toutes les maisons lui furent fermées. À l’orchestre, on ne le tolérait que par égard pour le souvenir de son père ; mais Louisa tremblait qu’il ne fût congédié d’un jour à l’autre, après un esclandre. Déjà on l’en avait sérieusement menacé, certains soirs où il était arrivé à son pupitre vers la fin de la représentation.

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