Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Jean-Christophe

ce dont il aurait besoin. Melchior, qui était en veine d’humilité, — il n’était pas tout à fait à jeun, — renchérit sur la proposition, et déclara qu’il voulait écrire séance tenante une lettre au grand-duc, pour que la pension qui lui revenait fût régulièrement payée en son nom à Christophe. Christophe refusait, rougissant de l’humiliation de son père. Mais Melchior, dévoré d’une soif de sacrifice, s’obstina à écrire. Il était ému lui-même de la magnanimité de son acte. Christophe refusa de prendre la lettre ; et Louisa, qui venait de rentrer, mise au courant de l’affaire, déclara qu’elle aimerait mieux mendier que d’obliger son mari à cet affront. Elle ajouta qu’elle avait confiance en lui, et qu’elle était sûre qu’il s’amenderait pour l’amour d’eux et de lui. Cela finit par une scène d’attendrissement général ; et la lettre de Melchior, oubliée sur la table, alla tomber sous l’armoire, où elle resta cachée.

Mais, quelques jours après, Louisa l’y retrouva, en faisant le ménage ; et comme elle était très malheureuse alors des nouveaux désordres de Melchior, qui avait tout oublié, au lieu de déchirer le papier, elle le mit de côté. Elle le garda plusieurs mois, repoussant toujours l’idée de s’en servir, malgré les souffrances qu’elle endurait. Mais un jour qu’elle vit, une fois de plus, Melchior battre Christophe, et le dépouiller de son argent, elle n’y tint plus ; et,

44