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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/61

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le matin

lettre. L’Excellence déplia soigneusement le papier, le lut, regarda Christophe, le laissa patauger dans ses explications, puis l’interrompit, et dit, avec un éclair malicieux dans les yeux :

— C’est bien, monsieur Krafft. La demande est accordée.

De la main, il lui donna congé, et se replongea dans ses écritures.

Christophe sortit, consterné.

— Sans rancune, Christophe ! lui dit cordialement l’employé, quand l’enfant repassa dans le bureau. Christophe se laissa prendre et secouer la main, sans oser lever les yeux. Il se retrouva hors du château. Il était glacé de honte. Tout ce qu’on lui avait dit lui revenait à l’esprit ; et il s’imaginait sentir une ironie injurieuse dans la pitié des gens qui l’estimaient et le plaignaient. Il rentra à la maison, et répondit à peine par quelques mots irrités aux questions de Louisa, comme s’il lui gardait rancune de ce qu’il venait de faire. Il était déchiré de remords, à la pensée de son père. Il voulait lui avouer tout, lui demander pardon. Melchior n’était pas là. Christophe l’attendit sans dormir, jusqu’au milieu de la nuit. Plus il pensait à lui, plus ses remords augmentaient ; il l’idéalisait ; il se le représentait faible, bon, malheureux, trahi par les siens. Dès qu’il entendit son pas dans l’esca-

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