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Jean-Christophe

lier, il sauta du lit pour courir à sa rencontre et se jeter dans ses bras. Mais Melchior rentrait dans un état d’ivresse si dégoûtant, que Christophe n’eut même pas le courage de l’approcher ; et il alla se recoucher, en raillant amèrement ses illusions.

Quand Melchior, quelques jours plus tard, apprit ce qui s’était passé, il eut un accès de colère épouvantable ; et, malgré les supplications de Christophe, il alla faire une scène au palais. Mais il en revint tout penaud, et il ne souffla pas mot de ce qui avait eu lieu. On l’avait reçu fort mal. On lui avait dit qu’il eût à le prendre sur un autre ton, — qu’on ne lui avait conservé sa pension qu’en considération du mérite de son fils, et que si l’on apprenait de lui le moindre scandale à l’avenir, elle lui serait totalement supprimée. Aussi Christophe fut-il très étonné et très soulagé de voir son père accepter sa situation du jour au lendemain, et se vanter même d’avoir eu l’initiative de ce sacrifice.

Cela n’empêcha point Melchior d’aller larmoyer au dehors qu’il était dépouillé par sa femme et par ses enfants, qu’il s’était exténué pour eux, toute sa vie, et que maintenant on le laissait manquer de tout. Il tâchait aussi de soutirer de l’argent à Christophe, par toutes sortes de câlineries et de ruses ingénieuses, qui donnaient souvent envie de rire à Christophe, bien qu’il n’en eût guère sujet. Mais

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