Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 2.djvu/64

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Il accepta résolument cette tâche écrasante. Son orgueil lui défendait de recourir à la charité des autres. Il se jura de se tirer d’affaire seul. Il avait trop souffert, depuis l’enfance, de voir sa mère accepter, quêter même d’humiliantes aumônes ; c’était un sujet de discussions avec elle, quand la bonne femme revenait au logis, triomphante d’un cadeau qu’elle avait obtenu d’une de ses protectrices. Elle n’y voyait pas malice et se réjouissait de pouvoir, grâce à cet argent, épargner un peu de peine à son Christophe et ajouter un plat au maigre souper. Mais Christophe devenait sombre ; il ne parlait plus de la soirée ; il refusait même, sans dire pourquoi, de toucher à la nourriture qui avait été ainsi obtenue. Louisa était chagrinée ; elle harcelait maladroitement son fils pour qu’il mangeât : il s’obstinait ; elle finissait par s’impatienter et lui disait des choses désagréables, auxquelles il répondait ; alors, il jetait sa serviette sur la table, et sortait. Son père haussait les épaules et l’appelait

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