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le matin

sition d’un état de grosse fièvre à un état d’anémie. Il brûlait, il tremblait de froid, il avait des angoisses, sa gorge se contractait, une boule dans le cou l’empêchait de respirer. — Naturellement, son imagination se frappa : il n’osait parler aux siens de tout ce qu’il ressentait ; mais il l’analysait sans cesse, avec une attention qui grossissait ses souffrances ou en créait de nouvelles. Il se prêta, l’une après l’autre, toutes les maladies connues ; il crut qu’il allait devenir aveugle ; et comme il avait quelquefois des vertiges, en marchant, il craignait de tomber brusquement raide mort. — Toujours cette horrible peur d’être arrêté en chemin, de mourir avant l’âge, l’obsédait, l’accablait, le talonnait à la fois. Ah ! s’il fallait mourir, au moins, pas maintenant, pas avant d’être vainqueur !…

La victoire… l’idée fixe qui ne cesse de le brûler, sans qu’il s’en rende bien compte, qui le soutient à travers tous les dégoûts, les fatigues, le marais croupissant de cette vie ! Conscience sourde et puissante de ce qu’il sera plus tard, de ce qu’il est déjà !… Ce qu’il est ? Un enfant maladif et nerveux, qui joue du violon à l’orchestre et écrit de médiocres concertos ? — Non. Bien au delà de cet enfant. Ceci n’est que l’enveloppe, la figure d’un jour. Ceci n’est pas son Être. Il n’y a aucun rapport entre son Être et la forme présente de son visage et de sa pensée.

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