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Jean-Christophe

d’un des crus les plus cher que l’on eût à l’auberge.

Attablés devant un repas considérable, ils en furent intimidés. Ils ne trouvaient plus rien à se dire ; et ils mangeaient du bout des dents, gênés et étriqués dans leurs mouvements. Ils s’apercevaient brusquement qu’ils étaient des étrangers l’un pour l’autre, et ils se surveillaient. Ils firent de vains efforts pour ranimer la conversation : elle retombait aussitôt. La première demi-heure fut d’un ennui mortel. Heureusement, le repas fit bientôt son effet ; et les deux convives se regardèrent avec plus de confiance. Christophe surtout, qui n’était pas accoutumé à de pareilles bombances, devint singulièrement loquace. Il raconta les difficultés de sa vie ; et Otto, sortant de sa réserve, avoua qu’il n’était pas heureux non plus. Il était faible et timide, et ses camarades en abusaient. Ils se moquaient de lui, ils ne lui pardonnaient pas de désapprouver leurs manières communes, ils lui jouaient de méchants tours. — Christophe serra les poings, et dit qu’il ne ferait pas bon pour eux recommencer en sa présence. — Otto était également incompris des siens. Christophe connaissait ce malheur ; et ils s’apitoyèrent sur leurs communes infortunes. Les parents de Diener voulaient faire de lui un commerçant, le successeur de son père. Mais lui voulait être poète. Il

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