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Jean-Christophe

que d’en rien avouer à Otto. Mais il n’eut pas besoin d’en venir là ; il se contenta de dépenser pour ce dîner à peu près tout son argent du mois.

Ils redescendirent la colline. L’ombre du soir commençait à se répandre à travers le bois de sapins ; les cimes flottaient encore dans la lumière rosée ; elles ondulaient gravement, avec un bruit de houle ; le tapis d’aiguilles violettes amortissait le son des pas. Ils se taisaient tous deux. Christophe sentait son cœur pénétré d’un trouble étrange et doux, il était heureux, il voulait parler, une angoisse l’oppressait. Il s’arrêta un moment, et Otto fit comme lui. Tout était silencieux. Des mouches bourdonnaient très haut, dans un rayon de soleil. Une branche sèche tomba. Christophe saisit la main d’Otto, et demanda, d’une voix qui tremblait :

— Est-ce que vous voulez être mon ami ?

Otto murmura :

— Oui.

Ils se serrèrent la main ; leur cœur palpitait. Ils osaient à peine se regarder.

Après un moment, ils se remirent en marche. Ils étaient à quelques pas l’un de l’autre, et ils ne se dirent plus rien jusqu’à la lisière du bois : ils avaient peur d’eux-mêmes et de leur mystérieux émoi ; ils allaient très vite et ne s’arrêtèrent plus, qu’ils ne

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