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la révolte

Elle l’accueillit avec ses yeux riants, sans s’interrompre de lire, jusqu’à ce qu’elle eût fini sa phrase. Puis, elle lui fit signe de s’asseoir sur le canapé, auprès d’elle :

— Mettez-vous là, et ne causez pas, dit-elle, je repasse mon rôle. J’en ai pour un quart d’heure.

Elle suivait sur le manuscrit, du bout de l’ongle, en lisant très vite et au hasard, comme une petite fille pressée. Il s’offrit à lui faire réciter sa leçon. Elle lui donna le cahier, et se leva pour répéter. Elle ânonnait, ou recommençait quatre fois une fin de phrase, avant de se lancer dans la phrase suivante. Elle secouait la tête en récitant son rôle ; ses épingles à cheveux tombaient, tout le long de la chambre. Quand un mot obstiné refusait d’entrer dans sa mémoire, elle avait des impatiences d’enfant mal élevée : il lui échappait parfois un juron drôlatique, ou même d’assez gros mots, — un très gros et très court, dont elle s’apostrophait elle-même. — Christophe était surpris de son mélange de talent et d’enfantillage. Elle trouvait des intonations justes et émouvantes ; mais, au beau milieu de la tirade où elle semblait mettre tout son cœur, il lui arrivait de dire des mots qui n’avaient aucun sens. Elle récitait sa leçon, comme un petit perroquet, sans beaucoup s’inquiéter de ce que cela signifiait : et c’étaient alors des coq-à-l’âne burlesques. Elle ne s’en affectait point ; quand elle s’en apercevait, elle en riait à se tordre. À la fin, elle dit : « Zut ! », elle lui arracha le cahier des mains, le lança à la volée dans un coin de la chambre, et dit :

— Vacances ! L’heure est sonnée !… Allons nous promener !

Un peu inquiet au sujet de son rôle, il demanda, par scrupule :

— Vous croyez que vous saurez ?

Elle répondit avec assurance :

— Bien sûr. Et le souffleur, pour quoi est-ce qu’il serait fait alors ?

Elle passa dans sa chambre, pour mettre son chapeau.

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