Christophe, en l’attendant, s’assit devant le piano, et tapota quelques suites d’accords. De l’autre pièce, elle cria :
— Oh ! qu’est-ce que c’est que cela ? Jouez encore ! Que c’est joli !
Elle accourut, en se piquant son chapeau sur la tête. Il continua. Quand il eut fini, elle voulut qu’il continuât encore. Elle s’extasiait, avec ces petites exclamations mièvres et menues, dont les Françaises sont coutumières, et qu’elles prodiguent aussi bien à propos de Tristan que d’une tasse de chocolat. Cela faisait rire Christophe : cela le changeait des exclamations énormes, emphatiques et massives de ses Allemands ; c’étaient deux exagérations contraires : l’une tendait à faire d’un bibelot une montagne, l’autre faisait d’une montagne un bibelot ; celle-ci n’était pas moins ridicule que celle-là ; mais elle lui semblait, pour l’instant, plus aimable, parce qu’il aimait la bouche d’où elle sortait. — Corinne voulut savoir de qui était ce qu’il jouait ; et quand elle sut que c’était de lui, elle poussa des cris. Il lui avait bien dit, dans leur conversation du matin, qu’il était compositeur ; mais elle n’y avait fait aucune attention. Elle s’assit auprès de lui, et exigea qu’il jouât tout ce qu’il avait composé. La promenade fut oubliée. Ce n’était pas simple politesse de sa part : elle adorait la musique, et elle avait un instinct admirable, qui suppléait à l’insuffisance de son instruction. D’abord, il ne la prit pas au sérieux, et lui joua ses mélodies les plus faciles. Mais quand, par hasard, ayant été amené à jouer une page à laquelle il tenait davantage, il vit, sans qu’il lui en eût rien dit, que c’était celle aussi qu’elle préférait, il eut une joyeuse surprise. Avec le naïf étonnement des Allemands, quand ils rencontrent un Français qui est bon musicien, il lui dit :
— C’est curieux. Comme vous avez le goût bon ! Je n’aurais jamais cru…
Corinne lui rit au nez.
Il s’amusa dès lors à faire choix d’œuvres de plus en plus difficiles à comprendre, pour voir jusqu’où elle le suivrait.