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Jean-Christophe

avaient été des livres ! Mais ils étaient des notes à des livres, des commentaires philologiques.

Christophe fuyait les occasions de se trouver avec eux. Mais elles lui étaient quelquefois imposées. Le directeur recevait, un jour par mois, dans l’après-midi ; et il tenait à ce que tout son monde fût là. Christophe, qui avait esquivé la première invitation, sans même s’excuser, faisant le mort, dans l’espoir fallacieux que son absence ne serait pas remarquée, fut l’objet, dès le lendemain, d’une observation aigre-douce. La fois suivante, chapitré par sa mère, il se décida à venir ; il y mit autant d’entrain que s’il allait à un enterrement.

Il se trouva dans une réunion de professeurs de l’institution et d’autres écoles de la ville, avec leurs femmes et leurs filles. Entassés dans un salon trop petit, ils étaient hiérarchiquement groupés, et ne firent nulle attention à lui. Le groupe le plus près de lui parlait de pédagogie et de cuisine. Toutes ces femmes de professeurs avaient des recettes culinaires, qu’elles professaient avec un pédantisme exubérant et revêche. Les hommes n’étaient pas moins intéressés par ces questions, et à peine moins compétents. Ils étaient aussi fiers des talents domestiques de leurs femmes, que celles-ci du savoir de leurs époux. Debout, près d’une fenêtre, adossé au mur, ne sachant quelle contenance faire, tantôt tâchant de sourire bêtement, tantôt sombre, l’œil fixe, les traits contractés, Christophe crevait d’ennui. À quelques pas, assise dans l’embrasure de la fenêtre, une jeune femme, à qui personne ne parlait, s’ennuyait comme lui. Tous deux regardaient la salle, et ne se regardaient pas. Ce ne fut qu’après un certain temps qu’ils se remarquèrent, au moment où, n’en pouvant plus ni l’un ni l’autre, ils se détournaient pour bâiller. Juste à cette minute, leurs yeux se rencontrèrent. Ils échangèrent un regard de complicité amicale. Il fit un pas vers elle. Elle lui dit, à mi-voix :

— On s’amuse ?

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