Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/251

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Depuis un an, il avait dû résigner ses fonctions à l’Université : sa santé de plus en plus précaire ne lui permettait plus de professer. Il était malade, et au lit, quand le libraire Wolf lui avait fait porter, comme il en avait l’habitude, un paquet des dernières nouveautés musicales qu’il avait reçues, et où se trouvaient, cette fois, les Lieder de Christophe. Il était seul. Nul parent auprès de lui ; le peu qu’il avait de famille était mort depuis longtemps. Il était livré aux soins d’une vieille bonne, qui abusait de sa faiblesse, pour lui imposer tout ce qu’elle voulait. Deux ou trois amis, guère moins âgés que lui, venaient le voir de temps en temps ; mais ils n’étaient pas non plus d’une très bonne santé ; et, quand le temps était mauvais, ils se tenaient clos aussi, et espaçaient leurs visites. Justement, c’était l’hiver alors, les rues étaient couvertes d’une neige qui fondait : Schulz n’avait vu personne, de tout le jour. Il faisait sombre dans la chambre : un brouillard jaune était tendu contre les vitres comme un écran, et murait les regards : la chaleur du poêle était lourde et fatigante. De l’église voisine, un vieux carillon du dix-septième siècle chantait, tous les quarts d’heure, d’une voix boiteuse et horriblement fausse, des bribes de chorals monotones, dont la jovialité paraissait un peu grimaçante, quand on n’était pas très gai, soi-même. Le vieux Schulz toussait, le dos appuyé contre une pile d’oreillers. Il essayait de relire Montaigne, qu’il aimait ; mais cette lecture ne lui faisait pas aujourd’hui autant de plaisir qu’à l’ordinaire ; il avait laissé tomber le livre, il respirait avec peine, et

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