Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Jean-Christophe

— Vite ! vite ! dit-elle tout bas, en lui montrant la table.

Il ne chercha plus à réfléchir. Il s’assit. Elle arracha à un livre de comptes une feuille de papier quadrillé, avec des barres rouges.

Il écrivit :

« Ma chère maman. Pardon ! Je vais te faire une grande peine. Je ne pouvais agir autrement. Je n’ai rien fait d’injuste. Mais maintenant, je dois fuir, et quitter le pays. Celle qui te portera ce mot, te racontera tout. Je voulais te dire adieu. On ne veut pas. On prétend que je serais arrêté avant. Je suis si malheureux que je n’ai plus de volonté. Je vais passer la frontière, mais je resterai tout près, jusqu’à ce que tu m’aies écrit ; celle qui te remet ma lettre me rapportera ta réponse. Dis-moi ce que je dois faire. Quoi que tu me dises, je le ferai. Veux-tu que je revienne ? Dis-moi de revenir ! Je ne puis supporter l’idée de te laisser seule. Comment feras-tu pour vivre ? Pardonne-moi ! Pardonne-moi ! Je t’aime et je t’embrasse… »

— Dépêchons-nous, monsieur ; sans quoi il serait trop tard, dit le bon ami de Lorchen, en entr’ouvrant la porte.

Christophe signa hâtivement, et donna la lettre à Lorchen :

— Vous la remettrez vous-même ?

— J’y vais, dit-elle.

Elle était déjà prête à partir.

— Demain, continua-t-elle, je vous porterai la réponse : vous m’attendrez à Leiden, — (la première station, au sortir d’Allemagne) — sur le quai de la gare.

(La curieuse avait lu la lettre de Christophe, par-dessus son épaule, tandis qu’il écrivait.)

— Vous me direz bien tout, et comment elle aura supporté ce coup, et tout ce qu’elle aura dit ? Vous ne me cacherez rien ? disait Christophe, suppliant.

— Je vous dirai tout.

Ils n’étaient plus aussi libres de se parler : sur le seuil de la porte, l’homme les regardait.

322