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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/333

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la révolte

barré la porte, pour l’empêcher de fuir : maintenant, ils s’opposaient à ce qu’il ne prît pas la fuite. Rentrer en ville, c’était se faire pincer, à coup sûr : avant qu’il fût seulement arrivé, on serait prévenu là-bas ; on l’arrêterait chez lui. — Il s’obstinait. Lorchen l’avait compris :

— C’est votre maman que vous voulez voir ?… J’irai à votre place.

— Quand ?

— Cette nuit.

— C’est vrai ? Vous feriez cela ?

— J’y vais.

Elle prit son fichu, et s’en enveloppa.

— Écrivez quelque chose, je le lui porterai. Venez par ici, je vais vous donner de l’encre.

Elle l’entraîna dans la pièce du fond. Sur le seuil, elle se retourna ; et, apostrophant son galant :

— Et toi, prépare-toi, dit-elle, c’est toi qui le conduiras. Tu ne le quitteras pas, que tu ne l’aies vu de l’autre côté de la frontière.

— C’est bon, c’est bon, fit l’autre.

Il avait aussi hâte que quiconque de savoir Christophe en France, et même plus loin, s’il était possible.

Lorchen entra avec Christophe dans l’autre pièce. Christophe hésitait encore. Il était déchiré de douleur, à la pensée qu’il n’embrasserait plus sa mère. Quand la reverrait-il ? Elle était si vieille, si fatiguée, si seule ! Ce nouveau coup l’achèverait. Que deviendrait-elle sans lui ?… Mais que deviendrait-elle, s’il restait, s’il se faisait condamner, enfermer pendant des années ? Ne serait-ce pas plus sûrement encore pour elle l’abandon, la misère ? Libre du moins, si loin qu’il fût, il pouvait lui venir en aide, elle pouvait le rejoindre. — Il n’eut pas le temps de voir clair dans ses pensées. Lorchen lui avait pris les mains ; debout, près de lui, elle le regardait ; leur figure se touchait presque ; elle lui jeta les bras autour du cou, et lui baisa la bouche :

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